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Préambule

Dans le travail, Lana Duval nous parle d'onirisme voilé, d'imaginaires bleutés au travers d'écrans de fumée numérique. Mais dans la vie, Lana a les pieds bien ancrés dans le sol. Rigoureuse et résiliente, comme beaucoup d'artistes, le labeur ne lui fait pas peur. En janvier 2020, on a discuté de l'investissement d'énergie dans le travail, de projets lointains (plus si lointains en décembre 2020 ;) ), d'engagement, recul ...

Notes

(*1) https://www.lebbb.org/fiche.php?id=800&p=profession_artiste (*2) https://www.frac-om.org/le-bal-des-survivances/ (*3) https://www.frac-om.org/appel-a-candidatures-post_production-2020/ (*4) Spoiler, elle a réussi ! : http://new.fugitif.eu/ (*5) Si tu savais Lana du passé ...

Le style de l'entretien reste oral pour garder la spontanéité de l'échange. L'écriture inclusive non-différenciée, c'est à dire le féminin ou le masculin venant en premier aléatoirement sur les mots genrés, est un parti-pris assumé. Car comme dirait une amie « Je ne suis pas qu'un « e » à la fin d'un mot ». Cette entretien a été réalisé en janvier 2020 en ère "pré-covidienne". Certains projets ou expos évoqués ont depuis été déplacés et/ou annulés mais d'autres ont aussi émergé ! Stay tuned pour des nouvelles des artistes interrogé.es et des « que sont-ils devenu.es ?! » ! Bonne lecture !

Paye ton artiste : Lana Duval tu es donc artiste plasticienne de ton état n'est ce pas ! wow ! Tu es ce qu'on peut appeler une "artiste émergente", en début d'émergence du moins. (Ne lève pas les yeux au ciel !) On est donc là pour parler des conditions socioprofessionnelles que tu rencontres, les obstacles, et tous ces à côtés qui sont inhérents à l'activité d'artiste et dont au final on parle peu par rapport aux côtés créatifs et artistiques. Je vais maintenant te laisser te présenter toi-même et dire rapidement quel est ton parcours ?

Lana Duval : Alors moi j'ai été formée aux Beaux-Arts. Je suis sortie en 2015 de l'école supérieure d'art des Pyrénées de Tarbes où j'ai obtenu un DNSEP. Puis pendant 2 ans j'ai vécu à Bordeaux et j'ai travaillé en médiation culturelle. Après l'école, ça a été difficile par rapport à la pratique artistique, je n'avais pas forcément un lieu où je pouvais travailler et puis je n'avais pas de repères par rapport au réseau de l'art contemporain non plus.

A ce moment-là j'ai fait une espèce de "pause" ou du moins j'ai pas mal ralenti au niveau de ma pratique.  Après ces deux ans à travailler dans le patrimoine, je suis arrivée à Toulouse en 2018. J'y ai suivi une formation dans un centre d'art, le BBB qui durait 4 mois et qui regroupait 12 artistes avec des parcours différents (*1). ça a été le moment où j'ai décidé de me remettre à fond dans ma pratique, il y a environ un an. Depuis j'ai eu plusieurs expositions.

PTA : Et actuellement tu es où dans ta carrière ? C'est quoi tes projets en ce moment ?

L.D : En ce moment, j'ai une exposition qui s'appelle « Le Bal des survivances » au FRAC Occitanie avec quatre autres ancien.nes diplômé.es des écoles d'art d'Occitanie (*2). C'est dans le cadre d'un dispositif qui s'appelle “Post Production" en partenariat avec le Frac de Montpellier et les écoles (*3). Nous avons quand même un budget de production assez conséquent dont un budget dédié pour un texte écrit par un critique. On touche aussi des honoraires d'exposition.

PTA : De très bonnes conditions qui sont malheureusement assez rares de manière générale dans le milieu, il faut le préciser.

L.D : Oui c'est un contexte plutôt idéal qui permet d'avancer et de faire des productions avec un accompagnement sérieux, attentionné et bienveillant. Donc oui, mes projets en ce moment ce serait de trouver des expos où on peut avoir justement un minimum de budget pour pouvoir avancer.

PTA : Ça peut vite devenir compliqué à trouver oui.

L.D : Compliqué ET fatigant. Bien sûr ça permet de faire des rencontres mais c'est pas suffisant ... ;)

PTA : Ah ça oui ... mais ça me fait une bonne transition ! Pour te demander quelles sont les plus grandes difficultés que tu rencontres dans le développement de ta carrière en ce moment ? Qu'est-ce qui impacte le plus ta vie personnelle et professionnelle ? étant donné que ce sont des choses très liées au regard de ta profession?

L.D : Ce qui me frustre le plus en ce moment c'est l'investissement d'énergie qu'on met à faire des dossiers ou même des petites expos qui ne vont pas être rémunérées et où on n’a pas de retours forcément corrects. On en demande trop aux artistes : on ne va pas les rémunérer mais on va leur demander de s’investir au niveau de l'installation. Parfois on peut se retrouver avec des personnes soi-disant commissaires mais qui n'accompagnent pas du tout. Par exemple, j'ai eu des expos où je ne pouvais pas être là. J’avais prévenu la structure et je leur avais demandé des photos de l’installation. Ils n'en n'ont pas fait une seule. Donc au final c'est presque comme si je n'avais fait absolument aucune exposition. Sans traces, c'est presque comme si elle ne comptait pas dans les dossiers. Ce qui me frustre le plus c'est vraiment cette énergie à investir, de devoir se battre non-stop et de n'être tranquille et sûre dans absolument aucune étape du projet.

PTA : Tu te souviens du moment où tu as choisi d'être artiste et où tu as pris la décision de t'engager dans cette carrière ? Tu t'attendais à avoir autant de difficultés où c'était plutôt quelque chose de surprenant ?

L.D : Je ne crois pas que j'ai eu un moment précis où j'ai su que je voulais être artiste. J'ai tout le temps fait ce qui me plaisait. Quand j'ai fini les Beaux-Arts, je ne savais pas trop vers quoi aller mais je savais que je voulais continuer. Même quand j'étais à Bordeaux, j'ai continué à faire des dossiers pour rester malgré tout dans une dynamique. Je pense que le déclic c'est quand j'ai travaillé en 35h en me disant "Okay vas-y, je vais tenter voir ce que ça fait... et essayer de faire à côté". Au final j'étais encore plus frustrée, je n'avais pas le temps et je n'ai pas pu développer ma pratique autant que je le voulais, ni autant m'investir. C'est à ce moment là que j'ai tout plaqué, il fallait à tout prix que j'y aille à fond. Même si je savais que ça allait être super dur et que je ne savais non plus dans quoi je mettais les pieds ou ni de quel côté il fallait que j’aille pour “entrer dans le milieu de l’art contemporain”.

PTA : Justement par rapport à ton environnement, en dehors du “milieu” de l'art contemporain, etc . Comment ton environnement familial ou tes amis ont réagi par rapport à ça ? Comme tu l'as dit c'est un chemin difficile à prendre, qui demande du courage, tu sais déjà en partant que ça va être galère.

L.D : Au niveau de ma famille je n'ai pas trop eu de problèmes, enfin ma famille très proche. Après souvent les personnes ne sont pas vraiment au courant de ce que je fais ou de ce que ça veut dire . Ils voient des photos etc ... Mais c'est plus : "ah c'est joli " mais ils ne voient pas forcément qu'il y a une recherche et une démarche derrière. Ils ne sont pas au courant plus que ça. Après dans ma famille élargie, on ne me pose jamais la question. Je pense qu'ils sont dans l'embarras parce qu'ils ne savent pas ce que c'est ou à quoi ça correspond, donc je n'ai pas de questions dessus. De temps en temps j'ai des allusions mais ils ne me demandent pas où j'en suis ou sur quoi je travaille en ce moment. Quand j'ai quitté mon boulot à Bordeaux par exemple, on m'a dit "Waaah c'est super !" que j'allais accomplir mon "rêve" que j'avais trop de "chance" de faire "ça" que c'était "génial" ahah voilà ...

PTA : Parlons du "rêve" américain du coup ... On va parler de fric ! ... Tu as mangé quoi le 5 de ce mois-ci ?

L.D : Euh ... ahah . C'était y a pas longtemps en plus, ... une tortilla ?

PTA : On attaque le nerf de la guerre ? Discutons statut, ... discutons paperasses, ... Donc "légalement", tu es artiste "pro" (ça fait un peu joueur de foot dis comme ça, moins le salaire bien sur ...). Es-tu inscrit à la mda ou à l'agessa ?

L.D : Je n'ai pas pu m'y inscrire en 2019, étant donné qu'il y a plein de réformes et que c'est le gros bazar ! Le suspens est à son comble ! J'ai un numéro de Siret par contre.

PTA : Hormis le chaos de cette année, tu as été formée sur toutes ces questions de statuts, de déclarations etc ? à l'école, ailleurs ou sur le tas ? Tu galères avec tout cet aspect administratif ou tu arrives à bien le gérer ?

L.D : Moi je n'ai pas eu de formation à l'école. C'est aussi pour ça que j'ai choisi de me former un peu plus tard. J’ai eu un accompagnement de ce côté là mais avant je ne connaissais absolument pas. Même quand j'en parle comme ça, ça reste quand même hyper flou et abstrait. Mais quand je me pose dessus, je me rends compte que j’ai tout de même les ressources pour le faire et ça se clarifie. Mais je dois quand même fournir des efforts pour essayer de comprendre tout ce bord*l, ça n'est pas très intuitif ou simplifié.

PTA :  Les histoires autour de ce statut sont très injustes en plus. Un ressenti par rapport à ça ?

L.D : Je suis assez découragée. En tout cas j'espère que les conditions vont s'améliorer, bien sûr. J'ai aussi espoir en voyant que certain.es arrivent à s'en sortir. Mais je sais qu'il faut jongler de toute façon. Pour l'instant je n'ai pas assez cumulé de revenus artistiques, donc je me débrouille entre mes anciennes activités, du salariat : des contrats CDD, du RSA, ... un petit micmac de tout ça. Comme tout le monde.

PTA : Comme tu dis, tu vois que certain.es s'en sortent. Notamment parce qu'ils.elles sont bien inséré.es dans le réseau art contemporain. Est-ce que tu as un sentiment d'appartenance par rapport à cette communauté au regard de ses galères de statuts mais aussi de ces bons côtés ? Tu trouves qu'il y a une bonne cohésion ? Tu arrives à t’y insérer justement ?

L.D : Je ne sais pas si je m'y sens vraiment implantée pour l'instant. Jusqu'ici sur Toulouse, ça va les gens sont accessibles. Mais toute la question administrative, elle est très souvent évacuée. On en parle peu entre nous (avec les acteur.ices ou même les artistes), ça n'est pas quelque chose qui est forcément évoqué quand on bosse sur une expo (sauf rares cas) ou dans les vernissages.

PTA : Par exemple toi tu es implantée en Occitanie. Tu ne te sens pas limitée dans ton territoire niveau réseau ? Ton expo au Frac à Montpellier, c'est en Occitanie, mais c'est aussi l'ancien Languedoc-Roussillon ou même tes expos à Bordeaux, ça reste dans le sud-ouest. Est-ce qu’ élargir ton réseau au delà de ton territoire régional ça te semble laborieux ?

L.D : Je n'y ai pas forcément travaillé pour être honnête. ça fait vraiment un an que je m'y suis mise à fond. Le but, pour l'instant, c'est vraiment de se fixer dans ces deux régions là. D'autant plus que j'ai été diplômée en Occitanie et que je suis originaire de Nouvelle-Aquitaine. Je voudrais d'abord développer ma carrière là, avant de pouvoir élargir plus loin. Après quand j'ai des propositions ailleurs, je fonce. L'année dernière j'ai eu la possibilité d'exposer sur Paris dans un lieu de diffusion et dans l’espace public avec un collectif d’artistes commissaires. Je ne me limite pas forcément, mais ce n’est pas mon objectif number one pour l'instant. Je débute, je préfère bien poser mes bases ici et après j'explorerai en suivant les propositions que l’on me fait. Par exemple, avec l'expo à Montpellier, je veux voir sur quoi ça peut ouvrir. L'année prochaine j'ai une expo prévue à Nîmes, donc qui sait ça va peut-être me mener plus vers le sud-est ! Pour l'instant, je reste près du soleil ! J'ai peur du nord ahah !

PTA : Outre les possibles freins du territoire, est-ce que sinon tu t'es déjà senti limitée ou discriminée dans le développement de ta carrière que ça soit par ton genre, ton âge, tes origines ou même ta formation ?

L.D : Il y avait un truc que je détestais à l'école et qui m'énerve toujours. C'est que certains profs ou intervenants nous glissaient que je faisais du "travail de fille". Alors même si je ne pense pas que c'était méchant, je l’ai vécu comme un truc à vaincre, ça explique en partie mon envie de faire du volume. En sculpture, j'ai fait des volumes de minimum deux mètres de hauteur à échelle humaine. J’avais tout le temps ce truc là de "c'est pas assez brut, c'est trop maniéré, trop féminin". Je voulais faire des trucs "strong" essayer de me prouver à moi-même que j’étais pas juste une fille.

PTA : C'est hyper intéressant parce que tu te rends compte que ça formate complètement ce que tu produis en fait tous ces préjugés de genre. Par la suite tu as réussi à t'en détacher de cette chose là ?

L.D : Maintenant oui, heureusement, je m'en fiche. Quand je vois ma production actuelle je me dis qu’à l’époque avec ça on aurait pu me dire que ce sont des trucs "ultra fille". Mais je ne trouve plus de sens à cette remarque, et je crois qu’aujourd’hui dans les écoles les profs doivent faire vachement plus gaffe avec ce genre de remarque parce que les élèves sont prêt.es à leur retomber dessus rapidement.

PTA : Sans transition : On va embrayer sur tes conditions de travail. En commençant par évoquer la question du lieu de travail : l'atelier. Tu en as un ? Tu prévoies d'en avoir un ? Est-ce que ça te semble compliqué d'en avoir un ?

L.D : Déjà, première difficulté pour l'atelier c'est l'aspect financier ! Parce que c'est un gros budget, surtout avec les revenus artistiques qu'on a.
Je n'ai pas d’atelier, j'ai hésité à en avoir un mais j'ai remis ça à plus tard. C'était trop compliqué à assumer au quotidien. C'était super loin de chez moi, je ne pouvais pas faire le trajet à cette époque pour des raisons perso. Mais j'ai toujours envie d’en avoir un, parce que c'est pratique ne serait-ce que pour être dans l'échange avec des personnes aussi artistes et dans la même galère. Avoir aussi des équipements, apprendre de nouvelles techniques, etc ...

PTA : Et pour séparer les espaces privés et professionnels non ?

L.D : Oui c'est vrai ! Mais je me pose la question du temps que je passerai dans mon appart si j'ai un atelier ! ahah

PTA : Intéressant ça ... justement à combien tu estimes ton temps de travail ? Dans une semaine, ou n'importe quelle autre unité de temps ?

L.D : Je n'arrive pas à l'estimer. Un minimum tous les jours c'est sûr, mais combien d'heures ? Je ne sais pas honnêtement. Parce que beaucoup de choses vont être axées sur ma pratique, mes recherches. Je vais lire, regarder des films, écouter des podcasts, etc.
Tout est relié à mes préoccupations du moment. Je suis potentiellement tout le temps dedans. A un moment je produisais beaucoup directement, quand tu bosses en numérique ça coûte rien. Mais en ce moment je ralentis sur cet aspect parce que je suis positionnée sur des projets spécifiques, des axes de recherches. C'est fluctuant mais j’ai plus envie de produire pour des finalités concrètes.

PTA : Tu as plutôt pour habitude de travailler seule ? Ou tu as déjà travaillé en collectif ? Fait des collaborations ? Et le cas échéant ça t'attire ?

L.D : Je l'ai déjà fait dans le cadre de l'école, dans un workshop, pendant une ou deux semaines où chacun proposait un projet collectif pour faire des pièces à exposer. C'était intéressant dans le sens où il y avait moins de pression. D'habitude il faut que ça soit super cohérent dans mes intentions, dans ma démarche, là c'était beaucoup plus fluide et ludique. Après je n'ai pas forcément re-tenté. Par contre, vu que je fais des textes et des images, maintenant j'essaye de faire des collaborations avec des personnes qui écrivent. ça peut m'emmener à faire de nouvelles images et à aborder de nouveaux thèmes. Mais pour l'instant je n'ai pas encore trouvé un truc qui me correspondait assez pour développer un projet plus important.

PTA : Revenons sur ton développement de carrière si tu veux bien. Comme tu l'as déjà dit, tu as exposé en solo et collectivement. A côté de ça est-ce que tu as déjà reçu des bourses DRAC, des prix ou autres ? Décrocher des résidences ?

L.D : Non. Une résidence du coup ça serait l'objectif pour cette année ! :) (*4)Je veux bien une bourse aussi si vous m'écoutez ! ahah

PTA : Au début tu parlais de l'expo au FRAC de Montpellier. Tu disais que vous aviez un budget de production important et que tu avais pu dégager un revenu artistique. Mais est-ce que dans les autres expos que tu as fait tu as ressenti un manque de budget général dans le secteur de l'art contemporain ? ... Bon bien sûr la réponse est oui ahah ... et comme on sait des budgets de résidence, d'exposition, de production,etc ... il n'y en a pas toujours !

L.D : Il y a un manque de budget global c'est sûr. Quand il y a du budget c'est même déjà pas mal.

PTA : C'est horrible de dire ça mais oui c'est une réalité ! Ce qui est terrible aussi c'est que la plupart des structures ont elles-mêmes le couteau sous la gorge.

L.D : Après au niveau des résidences aussi, il y en a qui ont des budgets hyper serrés aussi. J'avais postulé à une résidence c'était 900 euros pour trois mois de résidence !

PTA : Tu étais nourrie et logée avec ça ?

L.D : Je crois que tu étais logée, mais pas nourrie. Puis il faut faire vraiment attention dans les budgets de résidence parce qu'ils ne détaillent pas forcément. Il faut voir si les frais à côté sont bien exclus ou si c'est un budget global où tout est compris. Mais c'est plus souvent des budgets globaux où tu répartis tout toi-même.

PTA : Ce sont des conditions vraiment peu sereines pour mener un projet. Dans tes expériences personnelles jusqu'ici, sans citer de noms, tu as déjà déchanté sur les conditions ? Que ce soit sur l’absence de défraiement, transports, hébergement, l’absence de droit d'exposition, ou même le non-respect du protocole ou du montage de tes œuvres par exemple.

L.D : Ah oui, la totale ! Sur des expos non-rémunérées, une fois je montrais des œuvres textiles qui ont été cousues sans même m'avertir, on ne m'a même pas posé la question ! Bizarrement je le prends pas très bien ahah. En fait ce genre de trucs arrivent souvent quand on est pas rémunéré.e, qu'on a pas de budget de production, okay donc on rencontre des personnes et voilà ; mais même s'il y a pas de budget je pense qu’il faut exiger un contrat de diffusion au moins pour protéger nos oeuvres (nouvelle bonne résolution!).

PTA : Le fameux paiement en visibilité !

L.D : Exactement ! C'est bien, le paiement en visibilité ! Généralement c'est l'occasion pour moi d’au moins faire des photos pour mon portfolio et toute ma communication. Mais les fois où, comme je te racontais, on a même pas de photos qui sont faites, que tu ne peux pas être présente, alors même que tu préviens l’équipe et qu'un accord est passé... Quand on t’annonce qu’il n’y a malheureusement pas de photos de ton install, tu fais vite le bilan : tu t'es juste investie pour rien ! Et cerise sur le gâteau, ton travail a été modifié ! Hallelujah !

PTA : Le pire c'est que tu ne peux même pas assurer ton œuvre. Parce que il n'y a même pas de contrat d'exposition en fait ! C'est ça qui est fou. Pourtant il y a des modèles accessibles, tu changes juste les noms et HOP.

L.D : C'est tellement courant. Souvent c'est avec des collectifs ou des personnes qui sont jeunes artistes ou créatif.ves donc là "ça passe", tu te dis : on est tous dans la même galère. Mais j'ai aussi rencontré ce genre de conditions avec des associations qui sont tout de même bien établies qui sont censées aider les artistes mais on nous expose quand même sans contrat d'exposition. Puis sans réel accompagnement, pas vraiment de commissariat c'est assez incroyable.

PTA : Tes œuvres exposées, on t'en achète quand même ? Est-ce que ta production s'y prête d'ailleurs ? Elles sont "vendables" ?

L.D : Oui elles le sont. On ne m'en a pas encore acheté. J'ai eu quelques propositions mais ça ne s'est pas encore concrétisé.

PTA : Tu as du mal à donner une valeur monétaire à tes œuvres ?

L.D : Non ça va. Pour jauger le prix, souvent comme ce sont des expos collectives, je regarde un petit peu par rapport aux autres artistes, aux techniques, etc. Puis en fonction du contexte d'expo aussi ! Très important ! ça dépend des publics. Le prix du contexte, le contexte des prix au choix ahah ! "Le prix contextuel dans l'art contemporain" un grand débat !

PTA : C'est quoi ton ressenti par rapport aux mécanismes du marché de l'art ?

L.D : Le marché de l'art au point où j'en suis il est trèèès loin de moi. Je ne suis même pas en galerie. Pour l'instant je ne veux pas, je veux davantage développer ma pratique pour être sûre que mon travail est assez assuré et fort pour être soumis à une galerie. 

PTA : Avec tout ce que tu me dis là j'ai bien l'impression que tu ne fais pas beaucoup de dollars à la planche à billets Lana ! Si je résume : tu ne vends pas tes œuvres et dans la plupart des expos que tu fais, tu es peu ou pas rémunérée. Tu t'estimes vivre dans la précarité actuellement ?

L.D : Oui totalement.

PTA : Actuellement tu es bénéficiaire du RSA ou demandeuse d'emploi ?

L.D : Oui. Avant je touchais le chômage et cette année je suis au RSA. J'ai évolué … ahah

PTA : Personne ne t'as jamais payé de droit d'expo ou de droit d'auteur ?

L.D : Si. Pour quelques expos mais c'est pas souvent et ça ne représente pas beaucoup au final. Ce qui m'a le plus rapporté en revenus artistiques cette année 2019 c'est des ateliers en tant qu’artiste-intervenante.

PTA : Tu parles d'ateliers. Tu as donc des activités complémentaires liées à ton métier d'artiste ou du moins au monde de l'art ?

L.D : Oui, je fais de la médiation culturelle ponctuellement. Soit des ateliers de pratique plastique, ce qui est le plus intéressant c'est de le faire en tant qu'artiste intervenant.e parce qu'on est déjà beaucoup mieux payés à savoir le tarif DRAC.*1, le mieux ce sont des cycles d’intervention, on a aussi le temps de développer des projets beaucoup plus cool et poussés. Après lorsqu'on est en médiation culturelle c'est un peu mieux que tarif d'animation *2. mais au niveau des ateliers on n’a pas carte blanche et pas le même temps d’intervention.

PTA : Et du coup, est-ce que tu as un boulot alimentaire à côté ?

L.D : En ce moment non. Mais normalement oui, suivant les périodes.

PTA : ça va être très personnel donc tu y réponds ou pas comme tu veux. Mais est-ce que parfois tu es contrainte de ponctuellement te reposer financièrement sur un ou des proches ?

L.D : Non, jusque là j'ai tout le temps bataillé, je préfère gérer mon truc dans mon coin. J'ai pas envie, c'est ma vie, mon parcours, mes choix.

PTA : Au niveau uniquement de tes revenus artistiques, quel serait à peu près l'objectif du montant que tu estimerais réalisable ? Par an par exemple ?

L.D : Franchement je ne sais pas. Cette année j'ai eu à peu près 1000 balles de revenus artistiques. L'année prochaine ça dépendra de mes projets, mais si j'ai une résidence j'espère peut-être dans les 5000 ? Je ne sais pas du tout. Aucune idée. C'est tellement aléatoire ce qui va se passer (*5), je n'ai pas émis d'objectif financier pour l'instant.

PTA : Évidemment. C'est une question très ouverte, il n'y a jamais de visibilité sur ces choses-là. Mais tout de même, tu verrais comment l'évolution de ta carrière prochainement ? Dans un scénario réalisable ? En en conséquence l'amélioration de tes conditions de vie avec ?

L.D : Uhm ... je vais démissionner ! Ahah non je déconne. Déjà je ne me considère pas comme artiste émergente encore. J'ai envie de stabiliser tous les efforts que j'ai fait en 2019 pour réellement m'insérer dans le champ de l'art contemporain. Je veux m'assurer que cette inscription soit réelle et durable, pour l'instant c'est encore trop précaire pour moi je pense. J'aimerais bien trouver plus d'interventions aussi puisque la médiation, c'est un axe qui peut me plaire. C'est aussi un axe qui est souvent demandé dans les résidences, c’est une chance que ça me plaise, ça n’est pas le cas de tous les artistes. Après on verra.

PTA : Quand tu as commencé tes études d'art, qu'est-ce que tu aurais aimé savoir ou qu'on te dise ?

L.D : Pendant les beaux-arts j'aurai aimé qu'on m'informe sur l'importance du réseau ! C'est une chose dont je n'avais pas forcément conscience. Je pense que c'est quelque chose d'hyper important et c'est beaucoup plus simple si tu en as conscience dès le départ. Il y a trop d'opportunités auxquelles tu peux accéder. C'est quelque chose sur le moment que je n'ai pas compris, j'étais trop dans ma bulle. Je pensais qu'il fallait juste bosser et bosser et que ça suffisait, mais non en fait. Il n'y avait pas forcément d'initiatives de l'école non plus, en tout cas on ne nous l'a pas expliqué aussi clairement. ça te vient pas forcément à l’idée quand t’étudies perdue au milieu des Pyrénées dans une promo de 11 élèves en première année et 5 en cinquième année. Je pense que la question du réseau c’est quelque chose de plus évident dans les plus grandes écoles.

PTA : Je pense aussi qu'il y a pas mal d'étudiants comme toi qui ne le comprennent pas sur le moment. Il me semble que dans les écoles c'est un peu en train de se développer ça en ce moment. Elles ont l'air d'être un peu plus conscientes du manque d'accompagnement dans le développement de carrière de leurs diplômé.es pour l'après. Notamment avec les programmes de Post-Diplôme qui se développent un peu partout en France. Mais il reste encore du boulot à faire.

Justement, tu as des pistes de réflexions personnelles sur ce qui pourrait améliorer tes conditions socioprofessionnelles de toi et tes pairs ?

L.D : Arrêter de nous taxer ahah ! Déjà payer des cotisations alors que tu as 1000 balles de revenus artistiques annuels c'est quand même incroyable ! A partir d'un certain seuil, okay pourquoi pas mais là c'est absurde. Après à titre personnel ce qui me plairait c'est l'intermittence. Mais qu'on ait au moins un système équivalent. ça pourrait motiver des structures à faire intervenir plus d'artistes aussi. Mais apparemment ça ne serait pas idéal pour tout le monde, ça dépend de tes ambitions financières, de ta production, si tu veux être un filon du marché de l'art ou pas ! En tout cas un filet qui pourrait garantir un minimum de stabilité ça ne serait pas de refus. Un RSA n'est pas un revenu artistique !

PTA : Malgré tout ces obstacles de galérien, la dernière question pour embaumer un peu les cœurs, qu'est-ce qui te fait continuer ? Qu'est-ce qui te motive ? Qui te rappelle que ça vaut vraiment la peine.

L.D : De pouvoir prendre le temps en art contemporain de juste chercher, de lire, de s'exprimer de manière pas forcément formelle. Surtout moi je sais que je ne pourrais pas faire un boulot normal en 35h. J'ai une partie de moi qui meurt sinon.
Je pense que c'est super important de s’accorder le temps et la fantaisie de pouvoir parler de sujets divers qui ne donneront pas forcément un résultat fonctionnel ou rentable.Sinon c'est chaud en fait ! ça nous ramène à un truc fondamental. On reste humains quoi ! 

PTA : Tu as une dernière chose à ajouter ?

L.D : Non c'est bon. Enfin si : on est tous de la poussière d’étoiles haha

PTA : Merci Lana d'avoir répondu à toutes mes questions très intrusives ! ça a été très éclairant.

L.D : Merci aussi ! Bon bah payez vos artistes hein !