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Préambule

Stefania Meazza est une travailleuse de l’art. Dans son travail de critique d’art, de formatrice au BBB Centre d’Art et plus récemment de directrice de Documents d’Artistes Occitanie, elle marque son engagement fort auprès des artistes depuis de nombreuses années. Que ça soit dans les questions de défense de leurs droits et de leur statut, la reconnaissance de leur travail et pour l’amélioration de leurs conditions socioprofessionnelles.

Le style de l'entretien reste oral pour garder la spontanéité de l'échange. L'écriture inclusive non-différenciée, c'est à dire le féminin ou le masculin venant en premier aléatoirement sur les mots genrés, est un parti-pris assumé. Car comme dirait une amie « Je ne suis pas qu'un « e » à la fin d'un mot ». Cette entretien a été réalisé en janvier 2020 en ère "pré-covidienne". Certains projets ou expos évoqués ont depuis été déplacés et/ou annulés mais d'autres ont aussi émergé ! Stay tuned pour des nouvelles des artistes interrogé.es et des « que sont-ils devenu.es ?! » ! Bonne lecture !

 

Paye ton Artiste : Salut Stefania ! Je te remercie de m'accueillir dans ton humble logis. Tu es Stefania Meazza, la directrice et l'instigatrice de Documents d'artistes Occitanie1. Tu es aussi chargée de formation au BBB centre d'art qui propose sur Toulouse et sur Sète des formations sur tous les aspects annexes de l'activité d'artiste2.  Stefania dans ton parcours tu as toujours eu un positionnement auprès des artistes. Tu connais bien leurs situations et leurs conditions socioprofessionnelles. C'est justement ce qui m'a particulièrement intéressée à vouloir faire un entretien avec toi (et le fait qu'on ait aussi travaillé ensemble ! Ahah.). Je vais te laisser te présenter plus en détail toi-même.

Stefania Meazza : Donc oui je suis Stefania Meazza. A la base, j'ai commencé en faisant des études d'histoire de l'art. Puis j'ai complété avec un master en métiers de l'exposition que j'ai fait à Milan (je suis italienne). Au départ, je me destinais plutôt à faire un travail de commissariat. Et j'ai effectivement eu quelques expériences en commissariat quand j'habitais à Nice. Même si je n'en fais plus, encore aujourd'hui c'est quelque chose qui m'intéresse et que je n'exclue pas. Puis justement ce qui m'intéresse particulièrement dans le commissariat, c'est la même chose que dans le travail que j'exerce aujourd'hui au sein du BBB. Comme tu en parlais, c'est ce voisinage avec les artistes. Parce que pour moi, mon poste, travailler dans la formation, former les artistes et les accompagner ça veut aussi dire parler de leur travail. On traite beaucoup toutes les questions qui sont périphériques à la création artistique. Mais forcément quand on traite des books et des portfolios, quand on se pose la question de "comment j'écris mon texte de démarche ?", on touche évidemment aussi aux questions de la création et du travail de fond. C'est les moments que je préfère le plus dans mon travail ! Ahah. Mais en même temps je me rends compte que tout ce travail que nous faisons auprès des artistes (j'utilise le pluriel parce que nous sommes plusieurs au BBB au sein de ce que l'on appelle la Plateforme Ressource3) c'est un travail qui est indispensable et qui permet à la recherche artistique de se montrer, d'exister et de continuer. Les deux choses ne sont pas juste l'une à côté de l'autre, elles sont enchevêtrées.

Il y a cinq ans quand j'ai commencé à travailler au BBB, je n'étais pas formée sur tout ce qui est administratif : le statut, le droit d'auteur, j'ai tout appris sur le tas. Grâce à mes collègues, à des heures d'auto-formation et au contact des artistes. On arrête jamais d'apprendre, ça n'est pas que de la théorie. Tous les ans quand je fais un petit bilan de mon année, je me dis toujours "ah ça je l'ai appris grâce à elle/lui !", ça me permet d'avancer et de toujours garder de l'intérêt pour mon travail.

Puis parallèlement au BBB je suis aussi enseignante en histoire de l'art en première année à l'école des Beaux-Arts à Toulouse4. C'est un travail qui me plaît aussi beaucoup et j'y tiens justement parce que c'est vraiment de l'ordre de la transmission. C'est directement à destination des artistes en devenir mais on touche aussi à tout ce qui découle de la recherche artistique (Encore !). Et ça rejoint quelque chose dont on en a pas parlé mais c'est aussi les jeunes artistes que je côtoie le plus au BBB. Je n'ai rien contre les artistes émergés ou confirmés hein ahah ! Mais j'imagine que c'est aussi eux qui expriment le plus le besoin d'avoir un accompagnement ? Je ne sais pas.

 

PTA : Tu as toujours été dans des postes où tu étais directement au contact des artistes ? Ou tu as touché à d'autres choses, dans l'administration, dans la médiation, etc ?

SM : Oui. En fait j'ai eu beaucoup de mal à trouver un travail fixe. J'ai galéré pendant dix ans après mes études, j'ai fait des petits CDD, des remplacements et des stages comme tout le monde. J'ai beaucoup travaillé dans la médiation, je m'y suis orientée au départ parce c'était en accord avec mon intérêt pour la transmission. Bref la médiation ça m'a paru quelque chose de très naturel mais c'est vrai que ça n'était pas beaucoup en lien avec les artistes par contre. C'est à dire que je les voyais aux vernissages, j'échangeais avec eux au début de l'expo, mais à un moment on est seule avec le public. C'est vrai que cet échange me manquait un peu. Puis dans l'administration, j'ai aussi travaillé à la DRAC5. Ce qui a été une expérience hyper précieuse parce que j'ai pu voir ce qui se passait de l' "autre" côté dans la mécanique pour les acteurs culturels ET pour les artistes. Là aussi j'étais un peu moins auprès des artistes même si la conseillère pour les arts plastiques qui était la personne dont j'étais l'assistante, recevait des artistes tous les jours. J'étais forcément un peu en contact avec eux, je répondais aux questions. Ce contact s'est intensifié avec les années et les expériences jusqu'à aujourd'hui où c'est réellement la base de mon travail.

 

PTA : Je l'ai un peu évoqué au départ, mais quels sont tes projets du moment ? Tu continues sur cette tangente là auprès des artistes et de l'émergence ?

SM : Oui tout à fait. Aujourd'hui j'occupe toujours mon poste de chargée des formations au BBB avec grand plaisir. En gros je m'occupe de la coordination du programme de formations courtes et de la coordination de la formation longue Profession Artiste6 qui existe depuis 11 ans maintenant. Je fais aussi quelques accompagnements individuels même si je ne suis pas chargée d'accompagnement. Puis tu l'as dis, en ce moment je suis aussi dans une phase de préfiguration pour la mise en place d'un Documents d'Artistes Occitanie. C'est à dire un fond documentaire sur le modèle des Documents d'Artistes qui existent déjà en France dans d'autres régions. Là je suis dans une phase un peu charnière où je saurai bientôt si ce Documents d'Artistes peut partir en Occitanie ou attendre encore la consolidation des financements. Donc voilà j'accumule un troisième boulot ! Au final je jongle tout de même pas mal même avec un CDI ! ahah

 

PTA : Tu es en CDI du coup. Tu as entre grosses guillemets la "chance" de faire partie des personnes qui n'ont pas besoin de jongler entre des petits contrats ou des remplacements.

SM : Heureusement ... parce que à 40 ans ! ahaha

PTA : Mouais enfin ... franchement ahaha moi je l'espère pas trop pour moi-même ! (J'ai 27 ans)

SM : Oui t'as raison ça sera peut-être pas le cas de la génération suivante !

 

PTA : Avec ce climat actuel, qu'est-ce qui impacte le plus ta vie professionnelle ? Quelles sont tes plus grandes difficultés par rapport à ton secteur puis à tes conditions de travail tout simplement ?

SM : C'est les financements en fait. Je ne dis rien de nouveau là. Mais pas dans le sens où : si on avait des financements on pourrait avoir des salaires plus hauts. Même si c'est important, je n'ai pas choisi de travailler dans la culture et notamment dans l'art contemporain pour avoir un salaire élevé sinon j'aurais choisi autre chose ! Mais si on avait un peu plus de financements publics (le BBB est un service public en tant que centre d'art) nous pourrions avoir plus d'effectifs et accompagner plus d'artistes ou proposer plus d'actions. Ce que je remarque dans mon travail de tous les jours c'est qu'il y a beaucoup de demandes, beaucoup de sollicitations et en même temps nous sommes en incapacité de répondre à toutes ces demandes. C'est très frustrant pour nous et pour les artistes. La solution serait évidemment de pouvoir être plus nombreux à fournir ce type d'informations. Le vrai problème de mon point de vue c'est l'argent. Mais ce n'est pas que cet argent n'existe pas, c'est que l'argent est fléché autrement.

 

PTA : La valorisation n'est pas indexée sur le prix de la culture ... C'est bien connu, si tu ne fais pas ça par passion ...

SM : Exactement, c'est ça le problème aussi ! On ne vit pas dans un pays pauvre, ni dans un pays qui n'a pas de structuration de l'écosystème.

 

PTA : Oh tu sais la visibilité c'est une bonne monnaie aussi ahah ... ça s'accepte à Carrefour comme les tickets resto. Quoi qu'il arrive, on doit être hyper passionné pour atterrir dans ces milieux pro là. Comme tu disais, on peut pas dire qu'on le choisisse pour l'argent. Tu te souviens du moment ou de la période où tu as fait ce choix pour toi justement de travailler dans le milieu culturel ? Tu avais conscience des difficultés avant d'y mettre les pieds ?

SM : Oui. En fait je viens d'une famille scientifique. Mon père est ingénieur. Mais par contre ma mère, elle a fait une formation à la fac en architecture et durant toute sa vie elle a été enseignante d'arts plastiques. Je pense que c'est surtout elle qui m'a influencée dans mes choix. Donc c'était très clair dès le début que ça allait être un cursus compliqué mais mes deux parents m'ont tout de même soutenu là dedans. J'ai pu faire le choix d'études que je voulais. J'ai été consciente dès le début que ça n'allait pas être la grosse rigolade financièrement mais en fait j'ai la chance d'avoir toujours été soutenue. Mon exemple n'est pas forcément l'exemple de tout le monde, je leur en suis très reconnaissante. Puis après … quand est-ce que j'ai décidé de travailler dans l'art ? ... Au collège je disais déjà que je voulais être écrivain plutôt que astronaute ou ingénieur ou biologiste. Puis avec mon parcours je suis toujours restée dans cette mouvance là. Ensuite quand je suis arrivée en France il y a 16 ans, j'avais presque fini mon cursus à l'université et je n'avais aucune idée de ce que je voulais faire. J'avais des amis à la fac qui étaient en lien avec d'anciens diplômés d'un Master des métiers de l'exposition. A l'époque c'était un diplôme assez rare et j'y suis allée. C'est là que j'ai découvert le commissariat d'exposition qui m'a vraiment intéressé, mais au départ j'ai juste vu de la lumière et j'y suis allée. Je savais que l'art contemporain et les artistes m'intéressaient aussi avant mais sans plus. Par contre huit mois après, quand j'ai fini ce master, je savais que c'était ce que je voulais faire en fait.

 

PTA : Ton milieu familial t'a vraiment soutenu dans ton projet, ton milieu social aussi j'imagine ?

SM : Oui j'ai vraiment de la chance d'avoir été bien entourée. Puis malgré effectivement les difficultés du secteur, la précarité à certains moments j'ai aussi eu la chance de pouvoir faire le choix du non-travail. Enfin du moins du non-travail alimentaire parce qu'on ne m'a jamais laissée sur le côté. C'est le luxe ça !

 

PTA : Même si la réponse à cette question est plutôt évidente et que tu y as déjà partiellement répondu, je te la pose quand même. Est-ce que tu trouves ça simple actuellement de trouver ou de créer des postes en art contemporain ou en culture de manière plus large ? Notamment en début de carrière avec tous les problèmes de précarité que l'on connaît.

SM : Moi, je me souviens en 2003 quand je suis arrivée en France qu'en Italie c'était déjà le cas à l'époque. Tout était déjà saturé au niveau de la culture là bas. Pendant longtemps j'ai été en contact avec des amis du master que j'avais fait et on constatait que très peu d'entre nous arrivaient à rester dans ce secteur. Surtout si on était pas supporté par sa famille. Ils ont commencé en faisant des stages non-rémunérés, c'était déjà tout à fait normal en Italie. En France non à l'époque. Et aujourd'hui, seize ans après, ces conditions là se présentent en France. Des carrières qui ont du mal à démarrer malgré les capacités des personnes, les compétences, l'adaptabilité et tous les autres savoir-faires professionnels qu'ils ont développé. Au BBB tous les ans on a la chance de pouvoir travailler avec des personnes en volontariat civique. Ces deux, trois personnes que l'on côtoie pendant 8 à 10 mois font partie de l'équipe à part entière sauf qu'au bout de ces huit mois ... voilà c'est fini. C'est malheureux pour les personnes en question bien sûr mais aussi pour nous parce qu'on rencontre vraiment des personnes avec beaucoup de qualités mais qui finalement ne pourront pas s'inscrire durablement dans les activités de la structure. Il faudrait changer les choses bien sûr, mais comment les changer après ? C'est une autre histoire. Il n'y a pas vraiment de solution, du moins dans l'immédiat.

 

PTA : Et encore même à long terme personnellement j'ai du mal à voir comment ! Mais bon ...

SM : J'ai quelques idées ! ahah Mais ça sera une autre interview ... ahah

 

PTA : Mais ça fait une bonne transition pour dire qu'il faut du réseau pour y arriver ! Et justement toi-même comment tu t’insères dans ce réseau art contemporain ? Tu t'y sens à l'aise en tant qu'actrice culturelle ?

SM : Aujourd'hui oui je peux le dire. Surtout le réseau local, à Toulouse et de manière général dans toute l'Occitanie. On a aussi la chance d'avoir des actrice.eurs de l'art contemporain qui sont très cools dans la région. Par là je veux dire des personnes accessibles, intéressées, curieuses et ouvertes.

 

PTA : L'ancienne Midi-Pyrénées et l'Occitanie c'est le territoire où tu as toujours évoluée en France ?

SM : Depuis 8 ans oui. Avant j'étais à Nice, mais même là-bas j'y suis restée quatre ans, j'y avais aussi eu un bon accueil (dans le réseau). Mais ce qui a fait vraiment toute la différence c'est quand j'ai eu un poste. Avant bien sûr on a une carte de visite, j'étais commissaire d'expo, en plus je suis italienne, etc...donc on nous identifie mais quand on occupe un poste on devient ce poste pour le réseau. Ça c'est la France ! Ahah, vous attribuez beaucoup d'importance au statut et au travail ! Donc à partir du moment où j'ai pris mon poste au BBB ça a été une descente, c'était plus une montée. Quand on va dans des moments de réseau, des réunions ou dans des vernissages tout simplement, on est identifié avec la structure dans laquelle on travaille. Du coup après c'est beaucoup plus simple. C'est pour ça qu'aujourd'hui je dis que je m'y sens bien. Je côtoie beaucoup d'artistes et de travailleuse.eur.s de l'art. Après bien sûr on ne peut pas plaire à tout le monde mais a priori ça a toujours été des bons retours et un bon accueil.

 

PTA : Au sein de ce réseau artistique tu te sens bien intégrée mais au delà de ça, par rapport à d'autres secteurs culturels : Est-ce que tu sens un isolement de l'art contemporain ? Trouves-tu que des passerelles sont existantes entre les domaines ?

SM : Non, je les trouves inexistantes. Après je ne connais pas beaucoup le secteur du spectacle vivant, de la musique, etc.. Je n'ai jamais été là dedans mais je trouve qu'en fait, et je le dis souvent aux artistes, dans leurs recherches artistiques il y a des passerelles possibles. Parce que la création par contre est poreuse entre les différents médiums.

 

PTA : Oui c'est sûr entre les gens qui font de l'art sonore, de la performance, etc.

SM : Absolument. A l'école (Isdat7), je vois aussi des élèves, à partir de la deuxième année il y a des étudiants qui développent des projets en partenariat avec des danseurs par exemple. En son sein l'école a cinq départements : art, design graphique, design, danse et musique. Donc c'est plutôt naturel que ces liens se fassent dans les cursus. Je trouve que du coup de leur côté les artistes sont beaucoup plus dégourdis par rapport à ces "ponts". Mais du côté des diffuseurs ou des institutions, on a encore du mal. On pense beaucoup par vases clos et parfois on a du mal quand on conseille les artistes. ça m'arrive souvent de leur dire "Allez voir le responsable arts plastiques à la DRAC pour s'occuper de ça !" et ils me répondent "ah bon il faut pas que j'aille voir le conseiller pour le théâtre ou le conseiller pour la danse aussi ?". C'est toujours difficile de donner une réponse, oui, dans l'absolu parce qu'il faudrait voir tout le monde si on fait un travail en lien. Du côté des institutions c'est segmenté, mais nous aussi du côté de la diffusion il faudrait vraiment qu'on évolue. Parce qu'aujourd'hui c'est vrai que je ne vois pas beaucoup de ponts entre le spectacle vivant et l'art contemporain. Il y a même des grosses différences de structuration.

 

PTA : Rien que si on parle des revenus des artistes justement. L'intermittence ça change beaucoup de choses.

SM : C'est sûr ! Moi ce qu'on m'a dit depuis toujours c'est que ce système et ce statut de l'intermittence, même si ce n'est pas parfait non plus, ça a été le résultat d'une conquête et d'une lutte qui ont duré plusieurs années et décennies même. Avec les syndicats du théâtre qui remontent tout de même au début du XXe siècle en France. Puis il y a une forte solidarité.

 

PTA : Ils ont aussi travaillé ensemble plus "rapidement" dans le sens où ils étaient déjà en collectif sous forme de troupes de théâtre. Alors que les collectifs en art contemporain, si je ne me trompe pas, en comparaison c'est assez récent. A un moment il faut mutualiser les techniques et les recherches sinon on s'en sort pas !

SM : Mais c'est vrai qu'on évolue dans un domaine où les artistes sont beaucoup plus solitaires et isolés que dans le spectacle vivant. Du coup c'est forcément plus difficile de travailler sur la solidarité dans ses cas-là maaaaais il y a des choses qui commencent à se passer je trouve !

 

PTA : Ouaais ! On va partir sur un bon côté ! Toujours en parlant d'un décalage, même d'un grand écart cette fois-ci. Est-ce que tu as l'impression de travailler dans un secteur un peu à part ? En décalage global, avec tous les autres secteurs en fait. Le secteur privé par exemple. Comment toi tu l'interprètes ? Comment dans ton quotidien tu vois à quel point tu es privilégiée ou peut-être désavantagée ?

SM : C'est difficile à dire parce que je connais pas beaucoup de monde qui travaille dans le secteur privé. Mais finalement je trouve beaucoup plus de "voisinage" entre les conditions de travail du secteur de l'art contemporain et les conditions de travail du secteur privé plutôt que par exemple dans le secteur de la recherche universitaire que je connais un peu plus. Souvent je me trouve à échanger avec des amis qui sont plutôt dans l'enseignement, par exemple, que ce soit sur les conditions de travail, les salaires. Quand il y a des congés il faut qu'ils les prennent. C'est très terre-à-terre, mais dans la recherche universitaire, il faut assurer ses cours bien-sûr mais au delà de ça on est libre de se rendre en université ou pas pour faire sa recherche. Par rapport au lieu ça peut se faire à la maison, à la bibliothèque, donc si un jour on doit s’absenter pour faire une visite médicale il ne faut pas demander un jour de congé. Pour tous ces aspects très administratifs et très pratico-pratiques je pense que dans le secteur de l'art contemporain on est pareils que dans les autres secteurs. On reste des salariés finalement. La chose qui diffère avec les autres secteurs comme l'enseignement, l'aéronautique (on est à Toulouse hein ! Ahah), c'est qu’on nous dit toujours que l'on est dans un "métier passion". Pas parce que les gens qui bossent en aéronautique ils n'aiment pas ça mais nous du coup on nous fait un peu passer la pilule parce que "oui vous êtes dans un métier-passion du coup votre épanouissement passe à travers l'art contemporain !"

 

PTA : Oui du coup faut « faire des sacrifices » à côté ! Et ça se répercute en heures supplémentaires et sur la vie privée.

SM : Effectivement et de ce côté-là on va partager cette difficulté avec tous les métiers de la culture. Et ça se répercute aussi évidemment sur les conditions de travail et les conditions de vie.

 

PTA : Ça me fait réagir ce que tu dis parce que si on part par là, tu dois mériter ta position au travail, ton épanouissement au travail parce que tu dois en chier à côté. Ou sinon tu peux aussi faire un boulot où tu ne t’épanouis pas et avoir un bon salaire à côté ! ET encore par toujours ! Ahah big up la start-up nation !

SM : Mais c'est une pilule qu'on me faisait déjà passer quand je suis sortie de l'université à 23/24 ans. On me disait que de toute façon j'allais en chier pour avoir un poste ! Je reviens à ce qu'on disait avant, c'est totalement assumé et assimilé que tu dois galérer avant de te faire ta place.

PTA : Oui, tu te conditionnes toi-même à ce chemin de croix ahah.

SM : Oui et tu es aussi prête à accepter des conditions de travail qui au début te paraissent normales. Après quand tu vieillis et que tu te confrontes avec tes autres collègues et amie.s. Tu te dis "bah mince vous, vous gagnez 2200 euros par mois ! ». J'ai un ami qui travaille pour l'edf italien et qui prend 2300 euros par mois, en France ça représenterait quasiment le double je pense. Il me dit à 18h je suis à la maison et en Italie on travaille 40h par semaine. Bon tu te dis moi j'accepte ces conditions là, mais jusqu'où je peux accepter ? Jusqu'où je peux tenir ? Personnellement je peux tenir bien plus que ça parce que c'est vraiment la motivation qui me tient. Je ne pourrais jamais travailler dans ce type de secteur (privé). Ne pas pouvoir avoir une autonomie, ne pas pouvoir faire des propositions aussi, ne pas pouvoir faire évoluer les choses tous les ans ou tous les mois, ne pas travailler "l'humain" aussi. Voilà c'est le prix à payer mais cette phrase ne veut pas dire qu'il faut que les choses restent comme ça.

 

PTA : A un moment tu as déjà senti le plafond de verre ? Que tu étais bloquée dans l'évolution de ta carrière ? Parce que déjà les postes sont rares et puis les conditions sont tellement contraignantes qu' à un moment tu es juste bloquée et tu ne peux plus évoluer.

SM : Je ne m'étale pas parce que ça serait très long ! Ahah pas parce que c'est secret ! Mais effectivement oui, c'était même récemment et c'était lié à une question de financements. Parfois je sens cette frustration parce qu'on a de belles idées collectivement mais ces idées elle ne peuvent pas se mettre en pratique parce que manque de temps, de financements, ...

 

PTA : Pour continuer sur les limitations pour des raisons bien différentes, est-ce que tu t'es déjà sentie limitée ou discriminée dans le développement de ta carrière que ce soit par ton genre, ton âge, tes origines, tes opinions ?

SM : Je dirais non en général. Et ça vraiment, c'est génial de se rendre compte de ça ! Pouvoir dire ça à titre personnel ! Ahah. Après peut-être que je ne m'en suis pas aperçue ? Mais en tout cas depuis que je suis en France non. On me m'a jamais fait peser le fait que j'étais étrangère. On ne m'a jamais reproché le fait que j'ai un accent quand je parle, dans le domaine culturel c'est même plutôt un atout de curiosité et de questionnement. ça attire toujours l'attention. D'ailleurs à Nice au début c'était un peu ce qui attirait l'attention, j'étais "Stefania l'italienne" au delà d'être Stefania la personne qui avait fait des études en histoire de l'art. Donc tu vois ... Et après en tant que femme, je ne l'ai pas sentie, pas du tout. J'ai vraiment la chance de travailler dans une structure qui est très ouverte par rapport à ça. Je sais très bien que ce n'est pas le cas pour tout le monde.

 

PTA : Bah ouais. Quand tu vois que beaucoup de structures ont des hommes à leurs têtes alors que toute l'équipe est constituée de femmes. Comme dans les études d'art ou les études dans l'ingénierie culturelle, il y a une majorité de femmes diplômées mais aux postes décisionnaires on retrouve des hommes. Comme dans quasiment TOUS les secteurs d'ailleurs ! Ahah coïncidence ?

SM : Effectivement, mais heureusement c'est en train de changer. C'est à dire que les postes ne changent pas encore mais la conscience change de plus en plus et parmi les artistes également. Après si je peux trouver vraiment un truc négatif parce qu'on ne vit pas non plus dans le pays des bisounours, j'ai senti une sorte de discrimination basée sur l'âge quand j'étais en Italie avant d'arriver en France à 23 ans. On me faisait toujours remarquer que j'étais trop jeune et que je n'avais pas assez d'expérience pour accéder à un poste, pour me présenter en tant que travailleuse de l'art et tout ça ... Mais ça a été très rapide au final je leur dis "Bon bah vous savez quoi ?! Je me barre !" Ahah. Et je me suis barrée !

 

PTA : Allez bisous ! Ahah. On l'a déjà un peu évoqué, mais comment tu analyses aujourd'hui la banalisation et l'augmentation du salariat déguisé dans les structures ? Avec les stages, les services civiques, ...

SM : Et tu as oublié une chose aussi ! Dans le salariat déguisé c'est aussi les prestations. A savoir quand on te demande d'être auto-entrepreneur et de facturer ton travail. Et je reviens à ce que je disais tout à l'heure. C'est quelque chose qui se pratiquait déjà beaucoup en Italie quand je suis partie. Là je le retrouve en France et je ne pensais pas que ça aurait pu être possible quand je suis arrivée il y a 16 ans. A l'époque j'avais une idée un peu fantasmée de la France comme du pays qui respecte les droits du travailleur et du travail, ce qui était alors encore le cas d'ailleurs ! Mais du coup au fur et à mesure que j'ai vu ça apparaître, je me suis posée la question de savoir si c' était inévitable mais la réponse c'est non. Parce que ça reste des choix politiques. Mais en même temps quel est notre rôle en tant que travailleurs de l'art et en tant que personnes qui ont la chance d'avoir un poste fixe ? Bon après je suis pas Jeanne d'arc hein, mais moi je pense que ce rôle c'est de faire remonter ça aux oreilles de ceux qui peuvent influer sur les décisions. Il faut faire remonter ce constat sur les conditions de travail difficiles pour nos collègues en postes précaires et pour nous-mêmes aussi. Puis surtout pour les précaires et alerter sur le fait que c'est un fléau. Et c'est un fléau qui va concerner toute une génération comme ça l'a été en Italie pour la mienne. Il faut d'abord en parler pour que ça puisse changer !

 

PTA : Et c'est exactement ce qu'on est en train de faire ! Ahah. On parle toujours d'un manque de budget dans les structures. A titre personnel tu as ressenti ce manque de budget dans les institutions pour dégager des revenus artistiques pour les artistes dans les résidences, les expos,etc ?

SM : C'est toujours difficile pour les structures. Je m'en rends compte quand j'en parle avec mes collègues du réseau, en général c'est de plus en plus difficile d'obtenir des financements pour tout ce qui est recherche artistique et production. Ce qu'il se passe c'est qu'il y a de plus en plus de dispositifs financiers pour faire de la création mais en direction des publics. Ce qui s'appelle de l’Éducation Artistique et Culturelle (EAC)8, ce qui est une chose très positive; je ne crache pas sur ça. Mais ce sont des projets dans lesquels la création artistique est totalement soumise à la transmission auprès d'un public et d'un projet. Je le sens surtout là-dedans. Il y a de plus en plus d'appels à résidences que je vois passer qui sont pour des résidences en milieu scolaire, des résidences de territoire, etc ... Où la priorité n'est pas placée pour la création ou la recherche mais où elle est donnée uniquement aux publics. Pour que le public puisse s'identifier à l'art contemporain et être en relation avec les artistes. Attention ! Encore une fois, je ne veux pas dire que ça ne doit pas exister, pas du tout ! Mais ça ne peut pas devenir prépondérant. Les artistes ont aussi besoin de moments de recherche et de réflexion où ils ne produisent pas forcément.

 

PTA : Sans recherches, pas de pièces, pas de démarche, pas de ... rien ! C'est la base, la fondation ! La première étape du processus.

SM : C'est ça ! Sauf que pour les financeurs (évidemment pas tous les financeurs hein ! Je ne vais pas cracher dans la soupe!), il faut un retour rapide, des images, du concret ! Parce que le public c'est aussi ceux qui donnent leurs votes à la fin du mandat ! Ahah donc il faut bien leur montrer que voilà on en a fait des choses pour leur épanouissement !

 

PTA : Tu as déjà déchanté ou eu vent de mauvaises expériences durant un projet dans les conditions d'accueil de l'artiste ? de l’absence de défraiement, de paiement de droits d'exposition, d'absence de budget de prod, ...

SM : Ah oui ! Ahah. Même dans de grosses structures ! Pas en région Occitanie. Mais dans des structures qui te font miroiter en tant qu'artiste que ça va servir dans ta carrière mais que bon voilà il n'y a pas de budget de prod !

PTA : Le paiement en visibilité je l'entends à chaque fois !

SM : Dans de GROSSES structures je le redis ahah ! C'est pas parce qu'on a plus de budget à dépenser qu'on prête une attention plus particulière à la condition des artistes et à leur travail. Je pense que les choses sont en train de changer tout de même. Il y a beaucoup plus de pression qui ne s'est pas encore traduite en amélioration des conditions de travail, mais il y a bien plus de conscientisation des artistes par rapport à leurs droits. En fait quand je suis arrivée au BBB c'est aussi un peu ce qui m'avait conquise dans ce travail au sein de la Plateforme Ressource. C'était que leur parler des droits d'auteur, de toutes ces choses administratives un peu rébarbatives ça leur sert aussi après pour aller défendre leurs droits à être payé.e.s en droit de monstration, à ne pas voir leurs œuvres altérées ou modifiées,..

 

PTA : Comme dirait Francis Bacon : "Knowledge is power !"9

SM : Exactement voilà ! C'est l'émancipation en fait. Y a pas que Francis Bacon, c'est la philosophie marxiste aussi !

PTA : Mon petit cliché de première année a été placé ! Yes !

SM : C'est à dire que si tu sais, tu peux défendre tes droits et savoir ce que tu es en droit de demander et d'obtenir ! Après je ne dis pas que j'en ai tous les jours des échos comme ça mais j'ai beaucoup d'artistes qui me racontent leurs problèmes avec des structures de diffusion. Notamment avec celles du marché de l'art,certaines galeries, ça arrive souvent.

 

PTA : Ça me fait une transition parfaite ça. Justement le marché de l'art on a l'impression qu'il évolue en parallèle et en déconnexion totale avec les structures et les institutions parfois, et du même coup des financements publics. Ce qui est tout de même assez fou. Tu as une réflexion plus poussée par rapport à ça ?

SM : Quand j'habitais à Nice j'ai travaillé dans une galerie d'art. Après ce n'était pas forcément une galerie qui s'inscrivait dans le marché de l'art national mais plutôt local. Ça m'a ouvert les yeux sur pleins de choses. Justement ce matin au BBB j'ai fait une formation sur la diffusion et j'en ai parlé. Il ne faut pas penser que les deux systèmes sont parallèles et ne communiquent jamais. Les deux font partie du même écosystème. Quand on a une structure publique il ne faut pas penser que l'on va pas regarder les galeristes, qu'on ne va pas les inviter et qu'ils ne sont pas importants pour nous et nos artistes. Les deux choses sont forcément liées. Les galeristes viennent visiter les expositions.

PTA : Ils viennent aussi repérer des artistes et prospecter.

SM : Exactement. Il existe les co-productions entre les galeries et les structures par exemple. Quand un artiste a la chance d'être suivi.e par une galerie et qu'il présente une exposition en centre d'art, il peut aller solliciter une co-production de la part de sa galerie pour réaliser un projet d'envergure. Les deux ne fonctionnent pas parallèlement mais c'est vrai qu'en France il y a une prépondérance du secteur public. Mais d'ailleurs il faut noter que les galeries font beaucoup plus de ventes auprès des collections publiques que des collections privées. Le pourcentage est énorme en France.

PTA : On aime pas trop le mécénat et l'investissement privé en France, sauf pour la réduction d'impôts !10

SM : Mais bien-sûr ! Ahah, après c'est aussi quelque chose de culturel. Quand l'état est fort, il y a moins d'engagement des privés. Quand l'état est faible, comme en Allemagne par exemple, les investissements privés augmentent. Après ça ne veut pas dire qu'il faut faiblir l'état, attention ! L'exception culturelle française il faut la défendre, dans le sens où le soutien public dans le secteur de la culture permet aux artistes de vivre et d’évoluer plus facilement en dehors des exigences et des contraintes du marché de l’art.

PTA : C'est important de le rappeler, on a tendance à vivre dans notre petite mare parce que c'est le modèle qu'on connaît le mieux. Certes il est très loin d'être parfait et il y a beaucoup de précarité et d'injustices mais c'est vrai qu'il déploie quand même des avantages qui n'existent quasiment nulle part ailleurs.

SM : D'après ce que je connais oui, en Europe c'est très rare. En Italie quand tu sors des Beaux-Arts le parcours est très différent d'ici. D'abord tu trouves un job alimentaire évidemment ahah ! Et ensuite tu vas démarcher les galeries. En France, bon, bien-sûr tu vas aussi chercher ton boulot alimentaire mais tu vas aussi demander une bourse à la DRAC11 par exemple ou à exposer dans des lieux associatifs. Voilà ce sont d'autres situations. En Italie tu diffuses principalement par les galeries, il y a juste quelques initiatives qui viennent d'autres circuits dans certaines villes mais ça reste majoritairement des galeristes.

 

PTA : Dans le cadre de ton boulot tu as des retours d'expériences au quotidien sur ce genre de choses. Par rapport aux artistes que tu rencontres est-ce que ça fonctionne par niveau de carrière ou c'est vraiment de tout ? Que tu sois émergé.e ou en début de carrière, est-ce qu'ils ont des difficultés similaires ?

SM : Malheureusement ça va être un peu darwinien ce que je vais te dire mais pour vraiment être artiste il faut une énorme motivation et un travail de qualité. Ce sont les deux choses que je retiens. Il faut une super motivation parce que, je le vois autour de moi, il y a des personnes qui en ont marre et qui se découragent à un moment donné ! Puis ils laissent tomber, ils font le deuil et ça veut dire que plus tard ils feront d'autres métiers et peut-être qu'ils resteront "artistes du dimanche". Du coup ceux qui restent pendant longtemps ils conservent les mêmes difficultés qu'étant jeune sauf que maintenant ils sont insérés dans un réseau. Mais je connais des artistes qui exposent un peu partout, notamment en région, et qui ont longtemps été au RSA. Et aujourd'hui ils cherchent toujours des boulots alimentaires. Donc le pourcentage d'artistes qui vivent de leur travail en France si je me souviens bien c'est 1,2%. Ça veut dire que la plupart des artistes, même ceux qui ont une super recherche artistique, qui sont bien établi.e.s et qui exposent dans des lieux reconnus, ils ont aussi des boulots à côté. Quand ils ont de la chance, ce sont des boulots d'enseignants en école. Peut-être que ces difficultés diminuent avec le temps parce que quand on vieillit comme je disais on développe un réseau.

 

PTA : Toi tu as été formée à tous les aspects administratives et juridiques avec le parcours que tu as eu. Comme tu l'évoquais plus tôt, trouves-tu qu'il y a une méconnaissance chez les artistes de leurs propre droits et de leur propre statut ? Chez les établi.e.s comme chez les émergent.e.s.

SM : Les établi.e.s je les côtoie moins donc c'est plus difficile à dire mais je pense qu'à un moment donné on apprend sur le tas aussi. On se passe les infos entre les uns et les autres mais parmi les jeunes et les émergents je le constate beaucoup oui. A l'école les étudiants ne sont pas formée.s pour ça. Puis surtout ces questions ils ne les ont pas posées avant d'y être directement confrontée.é.s.

PTA : Je l'entends beaucoup dans les entretiens que je fais ce que tu dis. Dans les écoles il y a quelques interventions, quelques modules mais au final ce n'est pas forcément plus approfondi que ça. Mais j'ai quand même l'impression qu'avec des dispositifs comme les Post-Production, ils ont tout de même tendance à se pencher de plus en plus sur l'après de leurs diplômée.és.

SM : Oui et même au delà de ça, il y a aussi depuis quelques années beaucoup plus de conscience de la part des hiérarchies et des directions des écoles de la nécessité d'introduire ces modules de professionnalisation. Il y en a de plus en plus. Mais ce que je disais c'était qu'en fait, les étudiants tant qu'ils sont dans le cursus n'en sentent pas la nécessité. Ils la sentent après. Ils sortent de l'école et d'un coup la réalité les frappe au visage. Par exemple avec le BBB on intervient à l'ISDAT mais c'est vrai qu'ils sont tellement déjà pris par leurs projets que ce n'est jamais le bon moment en fait. Souvent je reçois des mails deux ans après "Bonjour Stefania, j'avais fait le module mais là je sais plus comment on fait une facture ! À l'aide !". Donc ce genre de choses bien-sûr qu'on peut les introduire en école d'art mais c'est aussi le travail des enseignants. Ça change beaucoup aussi, depuis quelques années les enseignante.t.s ont aussi beaucoup plus conscience de ce que c'est qu'être artiste professionnel.le. Tandis qu'avant ils étaient plutôt réfractaires à tout ça. C'était plutôt la "vieille génération". Mais aujourd'hui les artistes qui enseignent en école sont beaucoup plus au fait de la réalité de ce que c'est qu'être artiste et de la nécessité d'avoir ces outils là. Souvent je me retrouve aussi à discuter de ces questions avec mes étudiants de première année qui ont tout juste dix-huit ans. Mais c'est vrai qu'ils ne commencent qu'à vraiment ressentir l'intérêt de ces outils quand ils sont diplômée.é.s.

PTA : C'est ça. Quand tu es dans tes études tu as la tête dans le guidon et après d'un coup tu as du temps de libre ... mais trop en fait ! Ahah

SM : Soit trop, soit trop peu ! C'est difficile !

 

PTA : Toujours des droits à défendre. Justement toi en tant qu'actrice du secteur, pour le coup les conditions de vie des artistes même si ça peut t'impacter dans ta carrière, vu le milieu dans lequel tu évolues, ça ne te concerne pas directement. Pour autant, est-ce que tu te sens légitime à défendre les droits des artistes ? Surtout par rapport aux mouvements sociaux en ce moment12.

SM : Oui. J'ai la chance, comme on dirait en italien, d'avoir le "cul au chaud". Je suis en poste en CDI, j'ai un salaire certes pas mirobolant mais existant ! ahah. Pour vivre ça va. Donc je pense que plus que d'être légitime c'est mon devoir en tant qu'actrice de l'art contemporain. De faire de l'information sur ce qui se passe auprès des artistes, faire remonter des choses à qui peut prendre ou influer sur les décisions. Et comme je disais plus tôt, être solidaire aussi. Quand on parlait des intermittents, je ne connais pas toutes leurs luttes mais je pense que quand il a été temps les diffuseurs y ont aussi participé. ça n'émanait pas juste des artistes. En fait si on se divise on y arrivera jamais.

 

PTA : C'est vrai qu'on oublie souvent qu'en fait les actrices et acteurs de l'art sont inter-dépendants. C'est à dire que les diffuseurs n'existent pas sans la création et les artistes; et les artistes ne peuvent pas exister sans les diffuseurs. On pourrait parfois ressentir une opposition à se dire qu'on est pas dans les mêmes buts, pourtant fondamentalement on évolue sur la même tapisserie.

SM : Tout à fait. Moi par rapport à ce qui se passe en ce moment depuis quelques mois (avec les mouvements sociaux), je vais parler de Toulouse parce que c'est de là que je suis, mais je trouve que les artistes (à part quelques exceptions j'imagine) ont bien compris l'intérêt d'être ensemble avec les travailleuse.eur.s de l'art et de ne pas se diviser. Après je pense aussi qu'il y a des problématiques spécifiques aux uns et aux autres mais ça ne veut pas dire que ces problématiques spécifiques doivent nous diviser. Elles vont juste ajouter des raisons de s'unir. Comme je te disais je crois beaucoup au travail collectif. C'est important de ne pas s'isoler.

 

PTA : Pour mélanger les points de vues et les perspectives. Bon ... on va passer au futur ! Dans les prochaines années comment tu vois l'évolution de ta carrière dans le milieu ? Et aux vues des changements qui (on l'espère !) s'annoncent.

SM : C'est difficile comme question. D'abord pour moi, ensuite les autres ahah ! Personnellement je voudrais continuer à travailler auprès des artistes, à les côtoyer, à les accompagner pour qu'ils prennent de l'assurance. C'est la chose qui me donne le plus de satisfaction quand on me dit "Merci Stefania ! La formation m'a aidé, tout est plus clair !". Si je pouvais donner de l'argent aux personnes qui me le disent je serais pauvre. Enfin encore plus pauvre ! Ahah. C'est ça qui me fait continuer. La reconnaissance des artistes avec qui je travaille. Donc ça je veux continuer à le faire. J'aimerais aussi faire plus de commissariat et d'écriture, des choses que j'ai plutôt abandonné pour l'instant pour des questions de temps. Puis en élargissant un peu plus ce que je souhaiterais c'est un peu plus de structuration dans le secteur de l'art, en partant du local. Puis en même temps j'ai aussi envie de voir ce qui se passe ailleurs pour qu'il y ait plus de synergies. Je pense que ce qu'on va arriver à obtenir si on tient sur la durée c'est un peu plus de justice par rapport aux conditions de travail, à la rémunération des artistes,... Puis en plus local : plus d'espaces de travail pour les artistes à Toulouse. La question des ateliers je pense que tu l'entends beaucoup !

PTA : Oui c'est clair ! Je pense à la dernière journée pro d'Air de Midi13 qui a eu lieu à Montpellier au mois de décembre. Sur une des tables rondes, il y a eu beaucoup d'intervenants de la ville de Sète. C'est toi qui animait cette table d'ailleurs ahah! Quand on voit le nombre d'ateliers qu'il y a à Sète par rapport au nombre d'artistes, même si historiquement ça s'explique, c'est tout de même impressionnant la différence !14 A Toulouse c'est vrai qu'il n'y a pas grand chose.

 

SM : Souvent quand il y en a, c'est des initiatives qui viennent du bas !

PTA : Oui, on voit bien les structures type Mix'art15 ou même Lieu-Commun16 à Toulouse. Au départ c'est des squats, des artists run space17 qui sont devenus des lieux.

SM : Oui ça part des artistes qui s'organisent entre eux.

PTA : Ça part de la bricole pour évoluer. Mais c'est aussi bien parce que ça fait la force du truc ! Mais à un moment donné si on doit galérer pour tout et tout le temps ...

 

SM : On y revient. Un centre d'art c'est un service PUBLIC. Donc ça veut aussi dire que le travail de l'artiste il a le droit d'exister dans la cité !

PTA : La culture au sens large, dont l'art contemporain fait partie, c'est les artistes qui la produisent. Et ça aussi c'est un droit fondamental que de pouvoir en jouir de cette culture ! De toute façon une société sans culture c'est une dictature, c'est la première chose qu'on supprime et qu'on instrumentalise quand on crée une dictature ! Ahah.

SM : Ahah oui ! On remplace par la propagande ! Effectivement il faut rester vigilants sur ça. Si tu veux être artiste il faut aussi des conditions de travail qui permettent d'exercer ton activité artistique. Dont un espace de travail.

 

PTA : En terme de solutions concrètes, tu as quoi comme pistes de réflexion personnelles pour améliorer ces conditions pour les artistes ET les travailleuse.eur.s ? Hormis la mise à disposition locale d'ateliers. Quels sont tes angles d'attaque ?

SM : C'est sensibiliser au fait que le travail d'artiste tu ne le fais pas parce que tu vis d'amour et d'eau fraîche ! Que le travail d'artiste est un travail comme un autre qui mérite une rémunération. Sensibiliser les acteur.rice.s culturelle.el.s, sensibiliser les pouvoirs publics et les financeurs, ça serait déjà quelque chose qui ferait la différence.

 

PTA : Est-ce que tu penses vraiment qu'il y a un besoin de sensibilisation ou que certains, crachons un peu dans la soupe, choisissent d'ignorer ces choses ?

SM : Je trouve qu'il y a beaucoup de méconnaissance, de comment on rémunère un artiste et du droit des artistes.

PTA : C'est fou ça de la part des diffuseurs qui sont censés avoir l'habitude étant donné qu'ils sont quand même les principales sources rémunératrices.

SM : Bien sûr il y a aussi de la mauvaise foi. Des institutions qui savent mais qui ne le mettent pas en pratique. Mais c'est en train de changer ça je crois.

 

PTA : Tu as fait un bon bout de chemin en art contemporain. Qu'est-ce que tu aurais aimé savoir ou qu'on te dise quand tu as commencé ?

SM : Bonne question. Qu'on me dise comment se faire un réseau. Je l'ai un peu appris sur le tas. Qu'on me dise "Oui Stefania c'est important un réseau, ne perds pas trop de temps dans ton coin à repousser le moment où tu vas rencontrer les gens !" et "Oui Stefania, tu n'as pas besoin de connaître tout un sujet de A à Z avant de parler !". Et je crois que personne ne m'a jamais dit ça ! ahah. Je l'ai appris toute seule après !

 

PTA : Dernière question, pour repartir sur une note joyeuse ! Même si tu l'as déjà bien communiqué, c'est quoi qui te fait toujours continuer malgré toutes ces difficultés et que ça ne soit pas forcément la voie la plus simple ?

SM : En fait je ne m'y ennuie jamais ! ...Non c'est pas vrai ! Ahah. Je m'ennuie quand je fais des choses administratives ! Mais le vrai cœur de mon travail ne m'ennuie jamais, ça change tout le temps, tu rencontres toujours de nouvelles personnes. Et quand tu rencontres une personne à chaque fois tu rencontres un univers. C'est ça qui change la donne. Puis aussi le fait que ce qu'on m'y demande c'est d'utiliser mon cerveau. Je ne pourrais jamais travailler quelque part où on me dirait de juste exécuter et d'éteindre mon cerveau.

PTA : Pas faux ! Tu as une dernière chose à rajouter ?

SM : Non. Mais merci pour cet entretien.

PTA : Merci à toi Stefania d'avoir répondu à toutes mes questions.

 


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